Amalia se souvient très bien de ces premiers jours.
Ma sœur et la famille Correa, m’attendaient à la gare des Guillemins. Nous vivions dans le quartier de Ste Marguerite. A cette époque, il y avait déjà beaucoup d'Espagnols, mais tout était tellement différent de Grenade !
Les premiers mois, je ne m'adaptais pas à y vivre ici. Mes premiers sentiments étaient de rejet. Nous étions à Pâques et moi, je voulais déjà partir à nouveau pour Grenade en juillet. "Cela ne me plaît pas !" disait-elle à sa sœur. Mais malgré ce rejet que j'avais, je savais très bien qu’elle était la situation là-bas à Grenade. Je n’avais donc qu’une seule alternative : je devais rester et m'adapter.
Mais qui est ce qui ne te plaisait pas ?
Je ne sais pas! Tout était différent ici… Je ne me faisais pas à l’idée de rester. Il me manquait quelque chose, la lumière du jour était différente, tout semblait triste. Je me souvenais de ceux que j’avais laissés là-bas : mes parents, mes amies, mes cousines, le quartier …
Et comme as-tu fait ?
Très vite, j'ai commencé à travailler comme gardienne d'enfants chez une institutrice. J’étais interne et mes jours de repos étaient les samedis et les dimanches.
Mon salaire était de 300fb (7.44 €) par mois. C'était beaucoup d'argent comparé avec ce je gagnais à Grenade. Avec l'aide de ma sœur et de la famille Correa, peu à peu je me suis adaptée, mais je voulais quand même partir vers Grenade.
Comment occupais-tu le temps libre ?
Les jours de repos, je les passais en famille. Avec ma sœur, nous allions à la rencontre d'autres jeunes espagnols ; au Madrid, à la Marine (deux cafés espagnols) et dans d'autres lieux. Mais le seul endroit où je me sentais à l’aise, c’était au García Lorca. Il y avait beaucoup de jeunes espagnols, ils parlaient de beaucoup de choses et l’ambiance était bonne.
Où se trouvait le García Lorca ?
A cette époque, il se trouvait au Mont Saint Martin et c’est là que j’ai connu Torcuato.
Te souviens-tu de ces jeunes que tu as connus pour la première fois ?
Oui. Il y avait Manolo (le beau-frère d’Aurora), José, Rafael López, José Cabezas, Antonio Correas et Ángel Cordón.
Et parmis tous ces jeunes, se trouvait Torcuato ?
Oui, Torcuato faisait partie de ce groupe de jeunes. Ma sœur Maruja et moi, nous participions à toutes les activités qui se faisaient, nous assistions aux réunions, nous vendions le journal de la jeunesse le dimanche matin sur le marché.
C’est ainsi j'ai connu Torcuato. Il s'occupait de l’organisation des groupes de jeunes au García Lorca. Une fois que j’ai connu Torcuato, je me suis attaché à lui et alors je ne voulais plus retourner en Espagne.
Généraciónlorca veut remémorer Torcuato, en écrivant une page de sa vie, tu peux nous aider à l'écrire ?
Quel est ton premier souvenir ?
Je participais avec les jeunes "du García Lorca" à toutes les activités qui étaient organisées. Je me souviens très bien de ce jour où nous sommes allés voir Dolores Ibarruri à Paris. Torcuato avait activement participé à l'organisation de ce voyage.
Il était responsable de propagande dans l'UJCE de Liège, il était chargé de la distribution du journal, il recueillait les fonds de la vente de « Horizonte » (organe de la jeunesse communiste d’Espagne) et il était membre du comité provincial.
Il a été avec d'autres jeunes, l’un des premiers à créer l'UJCE à Liège, il y avait aussi Ángel Cordon entre-autres.
Pourquoi Torcuato est-il venu à Liège ?
Son père était déjà parti de Blanes (Barcelone) en 1951. Il laissa le travail dans les champs pour venir travailler dans la mine de l'Espérance à Liège. Sa mère viendrait le rejoindre un an après, en amenant avec elle le plus petit de ses fils (Tomás). Torcuato et ses deux frères resteraient à Blanes (Barcelone) sous la tutelle de leur tante.
C'est l'ainé qui avait dû prendre en charge ses petits frères. Il gardait le bétail et travaillait dans les champs (il n'était jamais allé à l'école officielle, tout ce qu’il savait il l’avait appris par lui même) le travail des champs était très dur et mal payé.
Son père lui trouva du travail dans la mine de l’Esperance où il travaillait lui-même. Torcuato quitta Blanes (Barcelone) en 1955 avec les deux autres frères, Antonio et Manuel. A cette époque là, il avait 17 ans. Dès son arrivée à Liège, il fut engagé tout de suite à la mine de l'Espérance.
Revenons à ses activités dans l'UJCE.
Torcuato est passé de la jeunesse au parti (PCE), il était membre dans la cellule Toledo et du comité Régional. Il avait été candidat aux élections des conseils consultatifs, avec Antonio Chacón et Antonio Haro, il participa aux travaux de CC.OO (Commissions Ouvrières- Syndicat espagnol).
A certaines occasions, il dut s'occuper de la conciergerie du club. Lequel ? Le parti lui demanda de s'occuper de la conciergerie du club de la rue de Gueldre.
Il était très aimé par les jeunes et ceux-ci l'aidaient beaucoup. Je suis tombée malade durant quelques mois et ce sont eux qui l’aidaient tous les jours à nettoyer le local. C'était un très grand local et grâce à l'amitié et la solidarité des jeunes, nous avons pu garder la conciergerie du club. A deux occasions, nous nous sommes occupés du club de la rue de Gueldre. Plus tard, quand le club s'est déplacé à la rue St Léonard, nous nous sommes occupés également de ce local.
Pendant combien de temps?
Dix ans consacrés à la vie du club. L’atmosphère familiale qu’il y avait pendant les fêtes furent pour Torcuato et moi des moments exceptionnels.
Qu'est-ce qu’il y avait de si exceptionnel ?
Tous les membres du club, des amis qui fréquentaient notre local, le faisaient avec un esprit de solidarité. Nous travaillions pour la lutte antifasciste, pour aider les familles en Espagne. Tout le bénéfice du club allait pour «l’intérieur » ; c’est ainsi que l’on disait. Le peuple souffrait beaucoup à cause de la dictature. Les travailleurs étaient emprisonnés et les familles n’avaient rien à manger. Oui ! Tout le bénéfice du club était pour la solidarité.
Tu me disais que Torcuato aidait aussi les Espagnols. Qu'est-ce qu'il faisait de particulier ?
Il était toujours disponible, en plus de s'occuper de la conciergerie du club, il aidait les camarades et les amis sur des questions relatives à leurs pensions. Il les aidait à remplir les documents, il prenait rendez-vous auprès de l'Ambassade et les accompagnait.
Avez-vous pensé à un certain moment de retourner en Espagne ?
Quand il a pris sa pension, Torcuato voulait retourner en Espagne pour aller vivre à Malaga. Ce n'était pas une décision facile à prendre car nous avions nos enfants et tous nos amis ici. Peu de temps après, il est tombé très malade et l'idée de partir a été mise de côté. Torcuato est décédé en 2007 et depuis lors, je me sens très bien ici auprès de mes enfants.
Pour moi l’Espagne sera toujours mon pays mais je ne retournerai plus là-bas pour y vivre. Je suis très bien ici avec mes enfants et mes amis, « recommencer une nouvelle vie là-bas serait difficile ».
Liège décembre 2010
Propos recueillis par Manuel Rodriguez